Est-ce seulement du beau ? Ou n’existe-t-elle pas vraiment, selon vous ?
Ségolène Royal dans « Femme Debout », interrogée par Françoise Degois, page 173 :
Je cherche la beauté qui procure des émotions... Par exemple, j'ai créé les Nuits romanes, dans ma région. Je veux donner de la beauté dans ces lieux sublimes que sont les édifices romans. L'autre jour, j'ai piqué une colère parce que, dans l'une des abbayes, ils avaient utilisé des vidéos projetées contre le mur et produit un spectacle de danse sans aucune émotion, totalement bâclé. J'ai convoqué tout le inonde en leur disant : « Vous vous fichez de moi, on a les orchestres formidables en région, je vous donne toutes les subventions possibles mais produisez du beau, de la joie, des spectacles qui créent des valeurs, de l'espoir ! » J'étais très en colère parce qu'ils n'avaient pas pensé aux autres, aux gens tout simplement qui n'ont pas les moyens de se payer l'Opéra ou d'aller voir des concerts de musique classique et sont heureux de pouvoir sortir, gratuitement, et découvrir ce qui est beau. Tout le monde a le droit d'accéder au beau. C'est aussi ça, la justice sociale. Entendons-nous bien, j'aime l'art contemporain, la danse contemporaine, mais je n'aime pas l'imposture qui se tortille dans une église romane. Le problème, c'est que personne n'ose rien dire de peur de passer pour un plouc! J'étais en pétard! On peut donner le top du top et ils ne prennent pas. Il faut sublimer, élever. Pina Bausch, ça élève, mais comme on ne peut pas avoir Pina Bausch, il faut revenir aux fondamentaux de la musique classique. Ça a traversé les siècles. Ça touche le cœur des gens, ça rend heureux. Il ne faut pas se tromper.
Vous pensez que l'art a une fonction politique ?
Oui, parce que je dirais que l'art trace les contours de l'époque mais pressent aussi l'époque. La littérature, l'art sont salvateurs dans la vie. Il y a dans l'art, et je pense notamment à la peinture, une intuition de ce qu'il va advenir. L’art représente aussi le monde. C'est vrai que Platon disait: « Si vous voulez connaître un peuple, connaissez sa musique. » C'est absolument vrai. L’art, ça n'est pas une activité humaine à part, je dirais plutôt que c'est la quintessence de l'activité humaine. C'est une représentation du monde et une sublimation du monde. Ça ouvre des dimensions mentales. Il m'est arrivé d'assister à des spectacles ou de m'arrêter devant une œuvre, à la Biennale d'art contemporain, par exemple, et je ne comprenais pas forcément la sculpture que j'avais en face de moi mais elle m'a fait tomber des murs dans le cerveau. L'art, ça perce notre coffre-fort personnel. Mais je persiste à penser que les tableaux les plus beaux nous sont offerts par la nature. C'est la création absolue, sans la patte humaine. Les spectacles les plus beaux restent ceux offerts par la nature. Un coucher de soleil... la contemplation d'un coucher de soleil, d'une montagne, d'une rivière qui continue à couler, c'est un miracle. Moi, ça me procure une telle émotion que je peux la garder pendant des mois, comme dans un tiroir, et la ressortir par mauvais temps ! (Rires.) Il y a deux domaines qui sortent les individus de leur dimension terrestre et matérielle, c'est bien sûr la culture et l'environnement. Je suis persuadée que si l'on mettait les gamins des cités et les familles défavorisées au contact de l'environnement et de la culture, on soignerait les plaies en profondeur. Bien sûr, on me dira qu'il y a le sport. Mais ça n'a rien à voir. En sport, on s'éclate... avec la culture et l'environnement, on s'élève. On se soude sans esprit de compétition, on se soude uniquement pour partager de la beauté. C'est extraordinaire. Vous voyez, c'est valable à tous les niveaux.
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